La Coopé, témoignage de Patrice

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Patrice et sa femme ont souhaité se lancer dans la rénovation-autopromotion à plusieurs familles. Il nous raconte comment leur projet, La Coopé, a pu voir le jour dans le quartier des Vergers à Illkirch, et comment il rayonne déjà sur les relations de voisinage du quartier.

Propos recueillis en septembre 2018 par Eco-Quartier Strasbourg.

Comment le projet a-t-il commencé ?

Notre envie à ma femme et moi est née de notre participation à EcoQuartierStrasbourg, il y a 15 ans. En 2014, un couple d’amis de la crèche parentale nous propose de monter un projet à 3 ou 4 familles pour acheter ensemble. L’accord initial entre les ménages était simple : nous voulions faire de la rénovation énergétique, nous avons tel budget (achat + travaux) : entre 220 et 230 pour chaque famille. A partir de là, nous sommes quelques-uns à avoir cherché. En tout, nous avons dû visiter 7 ou 8 maisons, bi ou tri-familles.  Nos critères étaient les suivants :

  • à 20 minutes de la place de l’Etoile ou de la gare de Strasbourg, à vélo ou en tram
  • avec jardin
  • intégrant des travaux de rénovation énergétique
  • une surface autour de 100 m2 par famille.

Je savais que la question des critères serait cruciale, j’ai donc  insisté pour visiter rapidement, et pour nous mettre en mouvement psychiquement. Nous avons rapidement perdu les deux autres familles. Un consensus a été pris finalement entre les deux dernières familles pour trouver un bien à Illkirch.

Comment vous y êtes vous pris pour rechercher le bien ?

Une fois nos critères fixés, il y avait 3 étapes .

- Etape 1 : Tri des biens sur le papier. Pour la recherche, nous sommes passés par le Boncoin, par du Particulier au Particulier.

- Etape 2 : Visite du bien avec un représentant de chaque couple. On note les sensations, et on mène une enquête de voisinage après la visite, en porte à porte ou par téléphone. En général, les gens aiment bien raconter.

- Etape 3 : Si on est d’accord sur « potentiellement, ça peut être celui là », on revient avec des personnes qui pourraient connaître un peu mieux sur le côté technique, et nous donner leur avis (parents, amis, etc…).

Comment s’est faite la négociation ?

La négociation avec le vendeur a été plutôt drôle. Le bien était à l’origine une maison bi-famille, qui avait été fusionnée en une seule. Les propriétaires étaient en instance de divorce…  ils se sont retrouvés à devoir vendre en période creuse, en mars 2015. L’annonce indiquait un prix assez élevé,  450 000 euros pour un bien de plus de 200 m² habitable, + 100 m² dans les combles. Ma femme s’occupait de la veille et savait que cela faisait longtemps que l’annonce était parue et que nous allions entrer dans une période creuse (rentrée scolaire…). Nous avons alors visité le bien, et fait une proposition très en deçà, début septembre. J’avais précisé à la vendeuse : « On va vous faire une proposition, mais ne la refusez pas. Prenez votre temps, nous ne sommes pas pressés ». Notre proposition était à 360 000 euros. Nous avions indiqué, avec notre proposition, l’esprit du projet “habitat participatif”. La vendeuse était une ancienne conseillère municipale. Nous sommes restés en lien. Elle était attachée à cette maison. Elle aimait notre projet, le sens de notre démarche, et elle ne voulait pas vendre à n’importe qui. Nous avons réalisé plusieurs visites, pour revoir certains détails. Finalement, début février 2016, la vendeuse nous informe qu’elle a reçu une nouvelle proposition, d’un autre acheteur potentiel, à 390 000 euros, et demande si nous souhaitons nous aligner, ce que nous avons fait.

En cours de route, avec ma femme nous avions vendu notre appartement. C’était clairement un saut dans le vide de prendre cette décision, mais cela a induit toute la dynamique avec l’autre famille.

Quels ont été les travaux réalisés ? Comment vous y êtes-vous pris ?

En parallèle à l’achat, nous avons fait la connaissance de Guillaume Christmann, architecte, à un salon Eco-Bio. Il nous a proposé ses services pour trouver les fournisseurs, optimiser le projet, etc… L’architecte nous a rassuré et sécurisé sur les matériaux qu’on pouvait utiliser (idéalement, on voulait des matériaux nobles). Il a fait le cahier des charges pour baliser la consultation des artisans, et pour s’assurer du juste choix. Il faut savoir que le prix des matériaux peut avoir des fluctuations de près de 50%... Au final, nous avons eu pour 100kE de travaux globalement (environ 80 % par des artisans).

Nous avons réalisé nous-mêmes l’isolation extérieure, remplacé toutes les fenêtres et isolé les combles.  L’architecte a fait un travail de conception également à l’intérieur. Initialement, il y avait 6 chambres et une salle de bain. Aujourd’hui, il y a 3 chambres et un grand espace à vivre dans notre appartement. L’orientation des séjours a également été modifiée. C’était une option proposée par l’architecte, que nous n’aurions jamais approfondi, par peur de toucher à des murs porteurs. Au final, c’était le meilleur choix quand à une logique d’usage des espaces de vie, de l’orientation et de l’utilisation du balcon. On a fait un choix. Les deux espaces privatifs sont les appartements. Et tout le reste sont des communs.  Sauf qu’entre le rez-de-chaussée et le 1er étage , il y a 8 m² d’écart. On a donc réajusté la destination des deux caves qui n'avaient pas la même surface, pour rééquilibrer.

En-dehors de ces espaces, tout est partagé (consigné dans l’acte notarié): jardin, potager, buanderie, cuisine d’été, garage, combles (que nous aménageons en ce moment en vue d’en faire une salle de jeu et salle d’amis partagé). Initialement, nous avions 3 envies pour notre lieu de vie partagé :

  • produire notre propre bière
  • avoir un four à tarte flambée
  • avoir un terrain de pétanque.

Les deux premiers sont déjà réalisés!

Y-a-t-il des choses qui vous ont manqué dans votre démarche ?

Il nous aurait été utile d’avoir un avis sur le montage juridique et financier. Tous les ans, la loi de finance subissait des modifications. Par exemple, sur l’Eco-PTZ, ni la banque, ni l’EIE n’ont réussi à nous donner la juste information. On a perdu 10kE d’Eco-PTZ auxquels on aurait eu droit (problématique du nombre de lots et chronologie de mobilisation des prêts)... On a tout de même mobilisé des crédits d'impôts sur la rénovation. Les travaux nous ont coûté 50% après déduction des aides. Il nous a aussi manqué une expertise technique et juridique, en particulier pour l’évacuation des eaux usées. Il y avait une fosse sceptique qui devait être raccordée à la charge du vendeur. Un notaire, que nous aurions choisi, aurait pu identifier ce point et nous mettre en garde sur cette obligation. Mais nous avions accepté naïvement de prendre le notaire des vendeurs.

Et peut-être avez-vous eu des éléments facilitants ?

L’Espace Info Energie a malgré tout était aidant. Nous avons également pu mobiliser nos réseaux respectifs. Un ami de lycée, agent immobilier et courtier, nous a aidés sur des conseils de négociation (timing, prix de l’immobilier…). Un membre de la famille très bricoleur nous a aidés pour les travaux. Enfin, en 2015, au moment de l’achat, nous avions tous entre 38 et 39 ans, nous étions plus “posés” et avions déjà eu une expérience d’achat, qui a rassuré l’autre famille.

Comment vous accordez-vous au quotidien ?

Les relations interpersonnelles fluctuent toujours. Nous connaissions seulement depuis un an le couple d’amis avec lesquels nous nous sommes lancés. Nous nous sommes connus dans une crèche parentale ! Nous savions déjà ce que nous partagions : un socle de valeurs en commun, une conception de l’éducation commune, une capacité à communiquer en situation de conflit.

Comme ces 3 critères étaient réunis, nous savions que le risque était minimisé. Il y a eu des situations de conflits bien sûr, mais nous les avons résolues, en diffusant des inspirations sociocratiques et de démocratie familiale. Nous avons une AG annuelle, une réunion mensuelle. Je souhaite que nos enfants puissent bientôt prendre part aux décisions aussi. Nous allons peut-être démarrer cette année : les plus grands viennent d’avoir 5 ans, et leur concentration pourrait permettre de les mobiliser au moins 20 minutes sur les réunions.

Nous avons commencé à expérimenter les conseils de famille. Régulièrement, nous faisons un point avec l’enfant : ce que j’ai aimé, ce que je n’ai pas aimé, ce dont j’aurais envie…  et nous y revenons une fois par semaine. La place et la parole de l’enfant est très important au sein d’un collectif.

Vous avez opté pour un montage en copropriété, pourquoi ?

On a cherché dans la « tontine », la SCI, etc. mais c’était assez éloigné de nos valeurs et de notre projet.

Pourquoi votre immeuble s’appelle la « Coopé » ?

Nous avons acheté l’année où la Coop Alsace a déposé le bilan. Comme l’idée de coopération nous tenait très à cœur, nous avons décidé de reprendre le nom. Nous avons également créé notre propre vocabulaire lié à la Coopé, un imaginaire autour de notre microsociété. Entre nous, on s’appelle les « Coproc’ », contraction entre copropriétaire et colocataire. On a inventé dans notre cuisine d’été la « ZAPA » : Zone d’Activité Préparatoire à l’Apéro.

Quelles sont vos relations aujourd’hui avec votre nouveau voisinage ?

Nous sommes dans un quartier très bourgeois, les Vergers à Illkirch. Nous venons de classes sociales moins favorisées. Au début les gens se disaient à peine bonjour. Après 8 mois, nous avons proposé d’organiser la fête des voisins. Nous avons sorti les fours à tarte flambée,  et chacun a ramené quelque chose à partager, en mode auberge espagnole. 80% des invités sont venus dès la première année (25 ou 30 voisins). Ca a tout changé dans nos relations de voisinage. Le lendemain, un voisin est venu changer une poignée cassée. Un autre nous a amené des boutures de son jardin. On était invité une semaine plus tard pour un apéro au bout de la rue. Depuis, on le réorganise tous les ans dans notre jardin et les relations se consolident de plus en plus.